La Bible de Gutenberg est dans Gallica : acte 1
18 janvier 2017
La Bible de Gutenberg est sans doute le livre le
plus célèbre du monde occidental. La BnF possède deux des quatre
exemplaires conservés sur le sol français : l'un est imprimé sur vélin (parchemin), l'autre sur papier. Tous deux sont désormais visibles dans Gallica. Partons à la découverte du premier et de ses remarquables décors enluminés.
Incipit de la Genèse : détail
Reconnue comme le premier ouvrage d’envergure à
avoir été imprimé au moyen de caractères mobiles en plomb, la Bible de
Gutenberg a été produite à Mayence, florissante cité de la vallée du
Rhin et du Saint-Empire Romain Germanique, au milieu des années 1450.
Cette première œuvre imprimée est aussi l’une des plus abouties que
l’Occident médiéval ait engendrées, constat qui l’a hissée au rang de
monument de la typographie naissante. La beauté de l’œuvre, sa renommée
et la diffusion rapide de sa technique révolutionnaire de production, en
ont fait le livre le plus emblématique de la culture occidentale.
La Bible de Gutenberg a de fait été imprimée sur les deux supports de l’écrit simultanément en usage au XVe siècle, le vélin et le papier - à raison d’un quart des exemplaires sur vélin et trois quarts sur papier.
On connaît aujourd'hui douze exemplaires de la
Bible de Gutenberg imprimés sur vélin, dont quatre seulement sont
complets. L’exemplaire de la BnF est de ce tout petit nombre.
Le choix d’imprimer sur vélin ne fut pas fortuit.
Le parchemin jouissait de la faveur d’acheteurs soucieux de la longévité
de l’ouvrage, de sa résistance à un usage répété ou désireux d’y faire
apposer un décor peint susceptible d’entretenir la ressemblance formelle
avec le livre manuscrit. L’exemplaire sur vélin de la BnF obéit à cette
logique : remarquablement enluminé, il comporte de spectaculaires
décors marginaux et des lettres peintes d’une infinie variété. Les
encadrements de feuilles d’acanthes (celui qui ouvre le livre de la
Genèse notamment) reproduisent des modèles stylistiques alors en
circulation dans la région de Mayence. L’origine des décors peints de
l’exemplaire sur vélin de la BnF a en effet été reconnue dans ceux que
proposait au milieu des années 1450 un livre de modèle – en allemand Musterbuch – destiné aux enlumineurs et aujourd’hui conservé à Göttingen (Niedersächsische Staats- und Universitätsbibliothek) :
Incipit de la Genèse : détail de l'encadrement enluminé
Livre de modèles de Göttingen (ca. 1450) : détail fol. 11 v°
Incipit de Luc : lettre Q peinte et filigranée
Incipit des Philippiens : lettre D peinte et filigranée
Les parties du texte apparaissant en couleur, en
rouge, en bleu (titres courants, ouverture et clôture des livres
bibliques, lettrines, chapitration en chiffres romains), ont été
rubriquées, c’est-à-dire portées à la main après la fin du travail
d’impression. Les éléments ajoutés, péritexte et ornements, font de
chaque exemplaire de la Bible de Gutenberg une œuvre unique :
Mentions manuscrites : titre courant (Genesis), n° de chapitre (C. XVII), commentaire en marge (No[n] e[st] de textu, avec signe de renvoi) en rouge ; lettre peinte (P), en bleu
Timothée, page d'ouverture : préparation de la rubrication définitive (en rouge) à la mine de plomb (en gris)
On verra ainsi, au premier feuillet de la Bible (Epître Frater Ambrosius de Jérôme) et à l’ouverture de la Genèse, que les incipit ont bel et bien été imprimés à l’encre rouge. La technique apparaît parfaitement maîtrisée. Toutefois, ce choix nécessitait un second passage sous la presse, les deux couleurs n’étant pas apposées dans un même mouvement. Après cet essai probablement jugé trop coûteux, l’imprimeur de la Bible de Gutenberg a renoncé à une impression en bichromie :
Ouverture de la Bible (Epître Frater Ambrosius) : Prologus est rubriqué à la main à la peinture rouge (matière couvrante et brillante), tandis que Incipit epistola sancti iheronimi ad paulinum... est imprimé à l'encre rouge (vélins67 vue 5). Un essai similaire est visible à l'incipit de la Genèse.
On remarquera, de la même manière, que la mise en
page de la Bible a été ajustée en cours d’impression. Les premiers
feuillets de la Bible de la BnF imprimée sur vélin comportent 40 lignes à la page. Rapidement, à partir du 10e feuillet, les compositeurs ont élevé ce ratio pour le fixer à 42 lignes à la page
(d’où le nom de "Bible à 42 lignes" sous lequel est également désignée
la Bible de Gutenberg). De cette simple élévation du nombre de lignes
imprimées par page résulte une économie substantielle de support, papier
ou parchemin. Là encore, on discerne, sur ce premier tirage de la
Bible, les traces d’ajustements techniques auxquels la recherche de
rendement n’est pas étrangère.
Sur l’exemplaire imprimé sur vélin, de nombreuses
corrections textuelles ont été apposées, directement dans la colonne de
texte ou en marge. Dans le corps du texte, les reprises ont été portées à
la plume, dans une graphie verticale cohérente avec le caractère
d’impression, sur le parchemin préalablement gratté, ceci afin de
favoriser la fluidité de la lecture. On rencontre également, en marge et
dans des écritures de plusieurs mains, des mentions qui sont tantôt des
corrections, tantôt l’apport d’une autre leçon du texte. Ce type
d’apport était courant sur les copies manuscrites médiévales de la
Bible ; le principe même de la variante du texte biblique était si admis
que des listes en avaient été établies et circulaient sous le nom de
"correctoires". Il est donc probable que les nombreuses corrections de
la Bible imprimée sur vélin de la BnF se divisent en deux catégories :
les corrections d’erreurs typographiques manifestes et l’adjonction de
variantes admises à partir d'un correctoire. Les ajouts manuscrits
prennent donc des formes diverses : grattage du support d’impression (le
parchemin étant assez épais et résistant pour autoriser cette
opération) et éventuellement, réécriture ; légers débords du texte en
marge ; ajout d’une section complète en marge, avec éventuel emploi d’un
signe diacritique de renvoi.
Au XVe siècle, la lecture collective de
la Bible est très présente dans la vie conventuelle, notamment au cours
des repas pris en commun au réfectoire. La Bible de Gutenberg, imprimée
dans un format plutôt imposant (env. 40 cm de haut), dans un caractère
de relativement grand module, répond au besoin de ce lectorat
professionnel : c’est un livre de lutrin. Les corrections de
l’exemplaire imprimé sur vélin de la BnF, inscrites dans une graphie
claire, soignée et lisible, témoignent de cet usage :
Jean, 13 : correction par grattage vélins70 vue 170 Apocalypse, 18 : ajout manuscrit en textura vélins70 vue315
A suivre : acte 2, l'exemplaire de la BnF imprimé sur papier.
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