Voltaire
21 November 1694
– 30 May 1778)
"Mais qu'est-ce donc que Voltaire ? Voltaire, disons-le avec joie et tristesse, c'est l'esprit français".
(Victor Hugo. "Shakespeare")
|
Il est commun de considérer que l'antisémitisme moderne prend sa source dans le christianisme. Les chrétiens accusent le peuple juif d'être responsable de la mort de Jésus-Christ. Cet antisémitisme trouve évidemment sa limite en lui-même. Le christianisme est issu du judaïsme, et l'antisémitisme chrétien ne peut donc être absolu. Sinon il se retournerait contre lui-même.
A propos de la Shoah, certains auteurs ont d'ailleurs montré que l'antisémitisme nazi est d'une autre nature que l'antisémitisme européen traditionnel. Léon Poliakoff a pointé l'origine de l'antisémitisme nazi dans la philosophie des Lumières.
Le racisme des Lumières
Le texte le plus éclairant
à ce sujet
est l'Essai
sur les Mœurs et
l'esprit des Nations, de
Voltaire (1756). Par rapport au Traité
sur la
Tolérance
qui est un texte très court, cet ouvrage est monumental. Il
occupe des centaines de pages, ce qui révèle son
importance dans la pensée, dans l'œuvre et dans
les
préoccupations du philosophe.
La thèse centrale de Voltaire est la perversité de la religion chrétienne à travers l'histoire, et plus particulièrement du catholicisme. Cette thèse passe par plusieurs démonstrations, mais en particulier les deux suivantes :
La thèse centrale de Voltaire est la perversité de la religion chrétienne à travers l'histoire, et plus particulièrement du catholicisme. Cette thèse passe par plusieurs démonstrations, mais en particulier les deux suivantes :
1
- L'enseignement chrétien est fondé sur des
erreurs.
Ainsi, l'idée que tous les hommes sont issus d'un
même
père et d'une même mère, Adam et Eve,
est fausse.
Les races humaines n'ont rien à voir entre elles.
Elles ont
des origines différentes.
2 - La religion chrétienne est mauvaise dès le départ. En effet, elle prolonge la religion juive, qui est celle d'une nation odieuse et ennemie du genre humain. La religion chrétienne a hérité des tares du judaïsme.
2 - La religion chrétienne est mauvaise dès le départ. En effet, elle prolonge la religion juive, qui est celle d'une nation odieuse et ennemie du genre humain. La religion chrétienne a hérité des tares du judaïsme.
L'adhésion au christianisme
fixait les
limites de l'antisémitisme, et la théorie de
l'ancêtre commun fixait les limites du racisme. Voltaire
brise
les limites, et donne à la xénophobie une
puissance
nouvelle, se revendiquant de la Raison.
Pressentant néanmoins la catastrophe à laquelle pouvait mener une telle logique, Voltaire élaborera l'antidote sept ans plus tard, dans son Traité sur la Tolérance, sans revenir réellement sur sa haine du catholicisme et du judaïsme. De toutes façons le mal était fait. Il s'épanouira dans le totalitarisme du XXème siècle et se prolonge aujourd'hui.
Pressentant néanmoins la catastrophe à laquelle pouvait mener une telle logique, Voltaire élaborera l'antidote sept ans plus tard, dans son Traité sur la Tolérance, sans revenir réellement sur sa haine du catholicisme et du judaïsme. De toutes façons le mal était fait. Il s'épanouira dans le totalitarisme du XXème siècle et se prolonge aujourd'hui.
Plutôt que de commenter l'Essai sur les
Mœurs, je
conseille à chacun de lire l'ouvrage. Il n'est pas facile
à trouver, sauf dans des versions expurgées, les
éditeurs rectifiant sans scrupule les écrits d'un
personnage emblématique de la culture française.
Même la bibliothèque nationale
française publie,
sur Internet, une version expurgée de l'Essai sur les
mœurs
(site bnf.gallica.fr).
Si l'on veut
échapper à ceux
qui
recomposent le passé, il faut chercher des
éditions
anciennes dans les
bibliothèques, chez les bouquinistes ou sur les sites
d'enchères.
Les quelques citations ci-dessous donnent une idée de la violence et de la conviction du propos. Des considérations du même calibre émaillent l'ouvrage par centaines. Celles qui sont livrées ici sont extraites de l'édition de 1805 (Imprimerie Didot). Pour ceux qui souhaitent effectuer des vérifications, j'ai indiqué le tome et la page. J'ai conservé l'orthographe et la ponctuation de l'édition.
Les quelques citations ci-dessous donnent une idée de la violence et de la conviction du propos. Des considérations du même calibre émaillent l'ouvrage par centaines. Celles qui sont livrées ici sont extraites de l'édition de 1805 (Imprimerie Didot). Pour ceux qui souhaitent effectuer des vérifications, j'ai indiqué le tome et la page. J'ai conservé l'orthographe et la ponctuation de l'édition.
A propos des races humaines :
"Des différentes
races d'hommes
Ce qui est plus intéressant pour nous, c'est la différence sensible des espèces d'hommes qui peuplent les quatre parties connues de notre monde. Il n'est permis qu'à un aveugle de douter que les blancs, les nègres, les Albinos, les Hottentots, les Lappons, les Chinois, les Américains soient des races entièrement différentes. Il n'y a point de voyageur instruit qui, en passant par Leyde, n'ait vu une partie du reticulum mucosum d'un Nègre disséqué par le célèbre Ruysch. Tout le reste de cette membrane fut transporté par Pierre-le-Grand dans le cabinet des raretés, à Petersbourg. Cette membrane est noire, et c'est elle qui communique aux Nègres cette noirceur inhérente qu'ils ne perdent que dans les maladies qui peuvent déchirer ce tissu, et permettre à la graisse, échappée de ses cellules, de faire des tâches blanches sous la peau. Leurs yeux ronds, leur nez épaté, leurs lèvres toujours grosses, leurs oreilles différemment figurées, la laine de leur tête, la mesure même de leur intelligence, mettent entre eux et les autres espèces d'hommes des différences prodigieuses. Et ce qui démontre qu'ils ne doivent point cette différence à leur climat, c'est que des nègres et des négresses transportés dans les pays les plus froids y produisent toujours des animaux de leur espèce, et que les mulâtres ne sont qu'une race bâtarde d'un noir et d'une blanche, ou d'un blanc et d'une noire. Les Albinos sont, à la vérité, une nation très petite et très rare ; ils habitent au milieu de l'Afrique : leur faiblesse ne leur permet guère de s'écarter des cavernes où ils demeurent ; Cependant les Nègres en attrapent quelquefois, et nous les achetons d'eux par curiosité. Prétendre que ce sont des Nègres nains, dont une espèce de lèpre a blanchi la peau, c'est comme si l'on disait que les noirs eux-mêmes sont des blancs que la lèpre a noircis. Un Albinos ne ressemble pas plus à un Nègre de Guinée qu'à un Anglais ou à un Espagnol. Leur blancheur n'est pas la nôtre : rien d'incarnat, nul mélange de blanc et de brun ; c'est une couleur de linge ou plutôt de cire blanchie ; leurs cheveux, leurs sourcils, sont de la plus belle et de la plus douce soie ; leurs yeux ne ressemblent en rien à ceux des autres hommes, mais ils approchent beaucoup des yeux de perdrix. Ils ressemblent aux Lappons par la taille, à aucune nation par la tête, puisqu'ils ont une autre chevelure, d'autres yeux, d'autres oreilles; et ils n'ont d'homme que la stature du corps, avec la faculté de la parole et de la pensée dans un degré très éloigné du nôtre. Tels sont ceux que j'ai vus et examinés. " |
"Les
Samoïèdes, les Lappons,
les habitants du nord de la Sibérie, ceux du Kamshatka, sont
encore moins avancés que les peuples de
l'Amérique. La
plupart des
Nègres, tous les
Cafres, sont plongés dans la même
stupidité, et y
croupiront longtemps."
|
"La
même
providence qui a produit l'éléphant, le
rhinocéros
et les Nègres, a fait naître dans un autre monde
des
orignaux, des condors, des animaux a qui on a cru longtemps le nombril
sur le dos, et des hommes d'un caractère qui n'est pas le
notre."
|
" Les
blancs et les
nègres, et les rouges, et les Lappons, et les
Samoïèdes, et les Albinos, ne viennent certainement
pas du
même sol. La différence entre toutes ces
espèces
est aussi marquée qu'entre un lévrier et un
barbet."
|
A propos des Juifs :
Voltaire à table |
"Si nous lisions l'histoire des Juifs écrite par un auteur d'une autre nation, nous aurions peine à croire qu'il y ait eu en effet un peuple fugitif d'Egypte qui soit venu par ordre exprès de Dieu immoler sept ou huit petites nations qu'il ne connaissait pas ; égorger sans miséricorde les femmes, les vieillards et les enfants à la mamelle, et ne réserver que les petites filles ; que ce peuple saint ait été puni de son Dieu quand il avait été assez criminel pour épargner un seul homme dévoué à l'anathème. Nous ne croirions pas qu'un peuple si abominable (les Juifs) eut pu exister sur la terre. Mais comme cette nation elle-même nous rapporte tous ses faits dans ses livres saints, il faut la croire."
(Tome
1, page 158-159)
|
"Toujours
superstitieuse, toujours avide du bien d'autrui, toujours barbare,
rampante dans le malheur, et insolente dans la
prospérité, voilà ce que furent les
Juifs aux yeux
des Grecs et des Romains qui purent lire leurs livres."
|
"Si
Dieu avait
exaucé toutes les
prières de son peuple, il ne serait restés que
des Juifs
sur la terre ; car ils
détestaient toutes les nations, ils en étaient
détestés ; et, en demandant sans cesse que Dieu
exterminât tous ceux qu'ils haïssaient, ils
semblaient
demander la ruine de la terre entière."
|
"
N'est-il pas clair (humainement parlant, en ne considérant
que
les causes secondes) que si les Juifs, qui espéraient la
conquête du monde, ont été presque
toujours
asservis, ce fut leur faute ? Et
si les Romains
dominèrent, ne le méritèrent-ils pas
par leur
courage et par leur prudence ? Je demande très humblement
pardon
aux Romains de les comparer un moment avec les Juifs."
|
"Si ces
Ismaélites [les Arabes]
ressemblaient aux Juifs par l'enthousiasme et la soif du pillage, ils
étaient prodigieusement supérieurs par le
courage, par la
grandeur d'âme, par la magnanimité : leur
histoire, ou
vraie ou fabuleuse, avant Mahomet, est remplie d'exemples
d'amitié, tels que la Grèce en inventa dans les
fables de
Pilade et d'Oreste, de Thésée et de Pirithous.
L'histoire
des Barmécides n'est qu'une suite de
générosités inouïes qui
élèvent
l'âme. Ces traits caractérisent une nation.
On ne voit au contraire, dans toutes les annales du peuple hébreu, aucune action généreuse. Ils ne connaissent ni l'hospitalité, ni la libéralité, ni la clémence. Leur souverain bonheur est d'exercer l'usure avec les étrangers ; et cet esprit d'usure, principe de toute lâcheté, est tellement enracinée dans leurs coeurs, que c'est l'objet continuel des figures qu'ils emploient dans l'espèce d'éloquence qui leur est propre. Leur gloire est de mettre à feu et à sang les petits villages dont ils peuvent s'emparer. Ils égorgent les vieillards et les enfants ; ils ne réservent que les filles nubiles ; ils assassinent leurs maîtres quand ils sont esclaves ;ils ne savent jamais pardonner quand ils sont vainqueurs : ils sont ennemis du genre humain. Nulle politesse, nulle science, nul art perfectionné dans aucun temps, chez cette nation atroce." |
"
Lorsque, vers la
fin du quinzième siècle, on voulut rechercher la
source
de la misère espagnole, on trouva que les Juifs avaient
attiré à eux tout l'argent du pays par le
commerce et par
l'usure. On comptait en Espagne plus de cent cinquante mille hommes de cette nation
étrangère si
odieuse et si
nécessaire. (...)
(Tome
5, page 74-76)Les Juifs seuls sont en horreur à tous les peuples chez lesquels ils sont admis (...). On feignait de s'alarmer que la vanité que tiraient les Juifs d'être établis sur les côtes méridionales de ce royaume long-temps avant les chrétiens : il est vrai qu'ils avaient passé en Andalousie de temps immémorial ; ils enveloppaient cette vérité de fables ridicules, telles qu'en a toujours débité ce peuple, chez qui les gens de bon sens ne s'appliquent qu'au négoce, et où le rabbinisme est abandonné à ceux qui ne peuvent mieux faire. Les rabbins espagnols avaient beaucoup écrit pour prouver qu'une colonie de Juifs avait fleuri sur les côtes du temps de Salomon, et que l'ancienne Bétique payait un tribut à ce troisième roi de Palestine ; il est très vraisemblable que les Phéniciens, en découvrant l'Andalousie, et en y fondant des colonies, y avaient établi des Juifs qui servirent de courtiers, comme ils en ont servi partout ; mais de tout temps les Juifs ont défiguré la vérité par des fables absurdes. Ils mirent en œuvre de fausses médailles, de fausses inscriptions ; cette espèce de fourberie, jointe aux autres plus essentielles qu'on leur reprochait, ne contribua pas peu à leur disgrâce." |
"
Ils ont même
été sur le point d'obtenir le droit de
bourgeoisie en
Angleterre vers l'an 1750 et l'acte du parlement allait
déjà passer en leur faveur. Mais enfin le cri de
la
nation, et l'excès du ridicule jeté sur cette
entreprise
la fit échouer. Il courut cent pasquinades
représentant
mylord Aaron et mylord Judas séants dans la chambre des
pairs.
On rit, et les Juifs se contentèrent d'être riches
et
libres ; (...)
(Tome5,
page 82-83)Vous êtes frappés de cette haine et de ce mépris que toutes les nations ont toujours eus pour les Juifs. C'est la suite inévitable de leur législation : Il fallait, ou qu'ils subjugassent tout, ou qu'ils fussent écrasés. Il leur fut ordonné d'avoir les nations en horreur, et de se croire souillés s'ils avaient mangé dans un plat qui eût appartenu à un homme d'une autre loi. Ils appelaient les nations vingt à trente bourgades leurs voisines qu'ils voulaient exterminer, et ils crurent qu'il fallait n'avoir rien de commun avec elles. Quand leurs yeux furent un peu ouverts par d'autre nations victorieuses qui leur apprirent que le monde était plus grand qu'ils ne croyaient, ils se trouvèrent, par leur loi même, ennemis naturels de ces nations, et enfin du genre humain. Leur politique absurde subsista quand elle devait changer ; leur superstition augmenta avec leurs malheurs : leurs vainqueurs étaient incirconcis ; il ne parut pas plus permis à un Juif de manger dans un plat qui avait servi à un Romain que dans le plat d'un Amorrhéen ; ils gardèrent tous leurs usages, qui sont précisément le contraire des usages sociables. Ils furent donc avec raison traités comme une nation opposée en tout aux autres ; les servant par avarice, les détestant par fanatisme, se faisant de l'usure un devoir sacré. Et ce sont nos pères ! " |
A propos des Tziganes :
"
Il y avait alors une
petite nation,
aussi vagabonde, aussi méprisée que les Juifs, et
adonnée à une autre espèce de rapine ;
c'était un ramas de gens inconnus, qu'on nommait
Bohèmes
en France, et ailleurs Egyptiens, Giptes ou Gipsis, ou Syriens (...).
Cette race a commencé à disparaître de
la face de
la terre depuis que, dans nos derniers temps, les hommes ont
été désinfatués des
sortilèges, des
talismans, des prédictions et des possessions."
|
A propos de l'esclavage ; Voltaire homme d'affaires
Tous les
élèves
français du
secondaire sont persuadés que Voltaire était
antiesclavagiste, et on leur fait lire sa compassion pour l'esclave du
Surinam. Notre philosophe est un bel hypocrite : il a en effet
spéculé en association avec les armateurs
nantais, et
avec la compagnie des Indes,
dans
les opérations de traite des esclaves (par exemple dans
l'armement du bateau négrier Le Congo). Dans la
citation
ci-après, il est plus sincère ; il
défend ses
intérêts.
" Nous
n'achetons des
esclaves domestiques que chez les Nègres ; on nous reproche
ce
commerce. Un peuple qui trafique de ses enfants est encore plus
condamnable que l'acheteur.
Ce négoce démontre notre supériorité ; celui qui se donne un maître était né pour en avoir."
(tome
8, page 187)
|
Voltaire et l'argent ; une reconnaissance nationale |
Lettre
à Michaud de Nantes, son associé dans
l'armement du
Congo (Cité par César Cantu, Histoire
universelle,
3ème édition, Tome XIII, p 148. Accessible sur
Google
books) "Je me félicite avec vous de l'heureux succès du navire le Congo, arrivé si à propos sur la côte d'Afrique pour soustraire à la mort tant de malheureux nègres... Je me réjouis d'avoir fait une bonne affaire en même temps qu'une bonne action." |
|
"Il y a une tragédie
anglaise qui commence par ces mots : mets de l'argent
dans ta poche et moque-toi du reste.
Celà n'est pas tragique, mais celà est fort
sensé" (lettre de Voltaire au P. de Menoux, 11
juillet 1960). Voltaire a spéculé pendant toute sa vie, ce qui explique son immense fortune. Pour se faire une idée de son appétit pour l'argent et les manoeuvres financières, des prêts qu'il consentait à des taux exhorbitants, en dehors de toute éthique, le livre Ménage et finances de Voltaire (1854), de Louis Nicolardot est très éclairant. L'ouvrage est téléchargeable sur Google-books. |
Le racisme : un thème récurrent chez Voltaire
En 1734, vingt-deux ans avant l'Essai sur les moeurs, Voltaire publie le Traité de Métaphysique. La thèse de l'origine différente et de l'inégalité des races humaines est déjà présente, dans toute sa nudité et toute sa violence.
Descendu
sur ce petit amas de boue, et n'ayant pas plus de notion de l'homme que
l'homme n'en a des habitants de Mars ou de Jupiter, je
débarque vers les côtes de l'Océan,
dans le pays de la Cafrerie, et d'abord je me mets à
chercher un homme.
Je
vois des singes, des
éléphants, des nègres, qui semblent
tous avoir quelque lueur d'une raison imparfaite.
Les uns et les
autres
ont un langage que je n'entends point, et toutes leurs actions
paraissent se rapporter également à une certaine
fin. Si je jugeais des choses par le premier effet qu'elles font sur
moi, j'aurais du penchant à croire d'abord que de tous ces
êtres c'est l'éléphant qui est l'animal
raisonnable. Mais, pour ne rien décider trop
légèrement, je prends des petits de ces
différentes bêtes; j'examine un enfant
nègre de six mois, un petit éléphant,
un petit singe, un petit lion, un petit chien: je vois, à
n'en pouvoir douter, que ces jeunes animaux ont incomparablement plus
de force et d'adresse; qu'ils ont plus d'idées, plus de
passions, plus de mémoire, que le petit nègre;
qu'ils expriment bien plus sensiblement tous leurs désirs;
mais, au bout de quelque temps, le petit nègre a tout autant
d'idées qu'eux tous. Je m'aperçois même
que ces animaux nègres ont entre eux un langage bien mieux
articulé encore, et bien plus variable que celui des autres
bêtes. J'ai eu le temps d'apprendre ce langage, et enfin,
à force de considérer le petit degré
de supériorité qu'ils ont à la longue
sur les singes et sur les éléphants, j'ai
hasardé de juger qu'en effet c'est là l'homme; et
je me suis fait à moi-même cette
définition: L'homme est un animal noir qui a de la laine sur la tête, marchant sur deux pattes, presque aussi adroit qu'un singe, moins fort que les autres animaux de sa taille, ayant un peu plus d'idées qu'eux, et plus de facilité pour les exprimer; sujet d'ailleurs à toutes les mêmes nécessités; naissant, vivant, et mourant tout comme eux. Après avoir passé quelque temps parmi cette espèce, je passe dans les régions maritimes des Indes orientales. Je suis surpris de ce que je vois: les éléphants, les lions, les singes, les perroquets, n'y sont pas tout à fait les mêmes que dans la Cafrerie, mais l'homme y paraît absolument différent; ils sont d'un beau jaune, n'ont point de laine; leur tête est couverte de grands crins noirs. Ils paraissent avoir sur toutes les choses des idées contraires à celles des nègres. Je suis donc forcé de changer ma définition et de ranger la nature humaine sous deux espèces la jaune avec des crins, et la noire avec de la laine. Mais à Batavia, Goa, et Surate, qui sont les rendez-vous de toutes les nations, je vois un grande multitude d'Européens, qui sont blancs et qui n'ont ni crins ni laine, mais des cheveux blonds fort déliés avec de la barbe au menton., On m'y montre aussi beaucoup d'Américains qui n'ont point de barbe: voilà ma définition et mes espèces d'hommes bien augmentées. Je rencontre à Goa une espèce encore plus singulière que toutes celles-ci: c'est un homme vêtu d'une longue soutane noire, et qui se dit fait pour instruire les autres. Tous ces différents hommes, me dit-il, que vous voyez sont tous nés d'un même père; et de là il me conte une longue histoire. Mais ce que me dit cet animal me paraît fort suspect. Je m'informe si un nègre et une négresse, à la laine noire et au nez épaté, font quelquefois des enfants blancs, portant cheveux blonds, et ayant un nez aquilin et des yeux bleus; si des nations sans barbe sont sorties des peuples barbus, et si les blancs et les blanches n'ont jamais produit des peuples jaunes. On me répond que non; que les nègres transplantés, par exemple en Allemagne, ne font que des nègres, à moins que les Allemands ne se chargent de changer l'espèce, et ainsi du reste. On m'ajoute que jamais homme un peu instruit n'a avancé que les espèces non mélangées dégénérassent, et qu'il n'y a guère que l'abbé Dubos qui ait dit cette sottise dans un livre intitulé Réflexions sur la peinture et sur la poésie, etc. Il me semble alors que je suis assez bien fondé à croire qu'il en est des hommes comme des arbres; que les poiriers, les sapins, les chênes et les abricotiers, ne viennent point d'un même arbre, et que les blancs barbus, les nègres portant laine, les jaunes portant crins, et les hommes sans barbe, ne viennent pas du même homme.(...) Je me suppose donc arrivé en Afrique, et entouré de nègres, de Hottentots, et d'autres animaux. Je remarque d'abord que les organes de la vie sont les mêmes chez eux tous; les opérations de leurs corps partent toutes des mêmes principes de vie; ils ont tous à mes yeux mêmes désirs, mêmes passions, mêmes besoins; ils les expriment tous, chacun dans leurs langues. La langue que j'entends la première est celle des animaux, cela ne peut être autrement; les sons par lesquels ils s'expriment ne semblent point arbitraires, ce sont des caractères vivants de leurs passions; ces signes portent l'empreinte de ce qu'ils expriment: le cri d'un chien qui demande à manger, joint à toutes ses attitudes, a une relation sensible à son objet; je le distingue incontinent des cris et des mouvements par lesquels il flatte un autre animal, de ceux avec lesquels il chasse, et de ceux par lesquels il se plaint; je discerne encore si sa plainte exprime l'anxiété de la solitude, ou la douleur d'une blessure, ou les impatiences de l'amour. Ainsi, avec un peu d'attention, j'entends le langage de tous les animaux ; ils n'ont aucun sentiment qu'ils n'expriment : peut-être n'en est-il pas de même de leurs idées ; mais comme il paraît que la nature ne leur a donné que peu d'idées, il me semble aussi qu'il était naturel qu'ils eussent un langage borné, proportionné à leurs perceptions. Que rencontré-je de différent dans les animaux nègres? Que puis-je y voir, sinon quelques idées et quelques combinaisons de plus dans leur tête, exprimées par un langage différemment articulé? Plus j'examine tous ces êtres, plus je dois soupçonner que ce sont des espèces différentes d'un même genre. Cette admirable faculté de retenir des idées leur est commune à tous ; ils ont tous des songes et des images faibles, pendant le sommeil, des idées qu'ils ont reçues en veillant ; leur faculté sentante et pensante croît avec leurs organes, et s'affaiblit avec eux, périt avec eux. Que l'on verse le sang d'un singe et d'un nègre, il y aura bientôt dans l'un et dans l'autre un degré d'épuisement qui les mettra hors d'état de me reconnaître ; bientôt après leurs sens extérieurs n'agissent plus, et enfin ils meurent. (...) Enfin je vois des hommes qui me paraissent supérieurs à ces nègres, comme ces nègres le sont aux singes, et comme les singes le sont aux huîtres et aux autres animaux de cette espèce. |
Dix ans après le Traité de Métaphysique, et douze ans avant l'Essai sur les moeurs, Voltaire publie sa Relation touchant un Maure blanc amené d'Afrique à Paris en 1744.
Voici la partie la plus intéressante de ce texte. L'observation voltairienne que la différence entre les races humaines est "aussi profonde que la différence entre un lévrier et un barbet" se retrouvera dans l'Essai sur les moeurs. Voltaire devait trouver cette comparaison suffisamment puissante, ou piquante, pour qu'il se donne la peine de la répéter.
"J'ai
vu, il n'y a pas longtemps, à Paris un petit animal blanc
comme du lait, avec
un muffle taillé comme celui des Lapons, ayant, comme les
nègres, de la laine
frisée sur la tête, mais une laine beaucoup plus
fine, et qui est de la
blancheur la plus éclatante; ses cils et ses sourcils sont
de cette même laine,
mais non frisée; ses paupières, d'une longueur
qui ne leur permet pas en
s'élevant de découvrir toute l'orbite de l'oeil,
lequel est un rond
parfait.(...). Cet animal s'appelle un homme, parce qu'il a le don de la parole, de la mémoire, un peu de ce qu'on appelle raison, et une espèce de visage. La race de ces hommes habite au milieu de l'Afrique: les Espagnols les appellent Albinos (...). Cette espèce est méprisée des nègres, plus que les nègres ne le sont de nous. Voici enfin une nouvelle richesse de la nature, une espèce qui ne ressemble pas tant à la nôtre que les barbets aux lévriers. Il y a encore probablement quelque autre espèce vers les terres australes. Voilà le genre humain plus favorisé qu'on n'a cru d'abord. Il eût été bien triste qu'il y eût tant d'espèces de singes, et une seule d'hommes. C'est seulement grand dommage qu'un animal aussi parfait soit si peu diversifié, et que nous ne comptions encore que cinq ou six espèces absolument différentes, tandis qu'il y a parmi les chiens une diversité si belle. |
Le Dictionnaire philosophique (1769)
L'obsession antisémite
de Voltaire ne s'endort jamais.
Dans son Dictionnaire philosophique, il revient régulièrement sur la question des Juifs, même quand il n'existe aucun lien avec la philosophie ou avec le titre de l'article.
Dans son Dictionnaire philosophique, il revient régulièrement sur la question des Juifs, même quand il n'existe aucun lien avec la philosophie ou avec le titre de l'article.
Article
"Abraham" : "Il est évident que tous les royaumes de l’Asie étaient très florissants avant que la horde vagabonde des Arabes appelés Juifs possédât un petit coin de terre en propre, avant qu’elle eût une ville, des lois et une religion fixe. Lors donc qu’on voit un rite, une ancienne opinion établie en Égypte ou en Asie, et chez les Juifs, il est bien naturel de penser que le petit peuple nouveau, ignorant, grossier, toujours privé des arts, a copié, comme il a pu, la nation antique, florissante et industrieuse." Article "Anthropophage" : "Pourquoi les Juifs n’auraient-ils pas été anthropophages ? C’eût été la seule chose qui eût manqué au peuple de Dieu pour être le plus abominable peuple de la terre." Article «Juifs» : "Vous ne trouverez en eux qu’un peuple ignorant et barbare, qui joint depuis longtemps la plus sordide avarice à la plus détestable superstition et à la plus invincible haine pour tous les peuples qui les tolèrent et qui les enrichissent. Il ne faut pourtant pas les brûler." Article «Job» : "Leur profession fut le brigandage et le courtage ; ils ne furent écrivains que par hasard." Article «Tolérance» : "Le peuple juif était, je l’avoue, un peuple bien barbare. Il égorgeait sans pitié tous les habitants d’un malheureux petit pays sur lequel il n’avait pas plus de droit qu’il n’en a sur Paris et sur Londres." |
La fierté de Voltaire d'être devenu un vrai seigneur féodal
Voltaire,
dans sa lettre à M. de Brenles du 27 décembre
1758, se vante de
posséder un droit de haute justice. Ce droit permet au
seigneur féodal
de juger et prononcer toutes les peines sur son domaine, y compris la
peine de mort. Le philosophe en parle à propos d'un certain
Grasset, avec qui il devait être en conflit : "Il ne me reste plus que de le prier à diner dans un de mes castels et de le faire pendre au fruit. J'ai heureusement haute justice chez moi, et si M. Grasset veut être pendu, il faut qu'il ait la bonté de faire chez moi un petit voyage." Dans une lettre à Thibouville du 28 mai 1760, il revient sur son droit de haute justice, en particulier de mettre quiconque au pilori. " On me reproche d'être comte de Ferney. Que ces Jean f... là viennent donc dans la terre de Ferney, je les mettrai au pilori. " |
Dans
sa lettre à d'Argental du 29 janvier 1764, Voltaire se
préoccupe des
impôts féodaux, les dîmes, qu'il
prélève dans ses domaines :
"Je
crois que l'affaire des Calas sera finie avant celle des
dîmes de
Ferney. Les tragédies, les histoires et les contes
n'empêchent pas
qu'on songe à ces dîmes, attendu qu'un homme de
lettres ne doit pas
être un sot qui abandonne ses affaires pour barbouiller des
choses
inutiles."
|
Dans
sa lettre à d'Argental du 1er février 1764,
Voltaire se vante d'avoir
droit de mainmorte, coutume liée au servage et qui avait
heureusement
disparu un peu partout. La mainmorte fut officiellement abolie en 1790
par un décret de Louis XVI.
"Je
remercie tendrement mes anges de toutes leurs bontés ; c'est
à eux que
je dois celles de M. le duc de Praslin, qui me conservera mes
dîmes en
dépit du concile de Latran... Figurez-vous quel plaisir ce
sera pour un
aveugle d'avoir entre les Alpes et le mont Jura une terre grande comme
la main, ne payant rien au roi ni à l'église, et ayant d'ailleurs le droit de
mainmorte sur plusieurs petites possessions."
|
Voltaire
se prétendit ennemi du servage, comme il s'était dit
ennemi de l'esclavage. Il a écrit un texte à propos des
serfs de Saint-Claude et du mont Jura, en préambule au Discours aux Welches.
Par une lettre du 7 novembre 1764, un habitant de Saint-Claude, Joseph
Romain Joly, frère du maire, lui répondit qu'il se
trompait et qu'il n'y avait pas de serfs dans son petit pays. Il
démontra par citation de documents anciens que Saint Claude
était "ville franche" depuis longtemps et que le droit de
mainmorte n'y avait jamais existé. Lorsque les droits féodaux furent abolis, dans la nuit du 4 août 1789, on s'aperçut que le défenseur des serfs virtuels de Saint Claude avait refusé d'émanciper les siens, qui pourtant étaient bien réels. La preuve se trouverait dans les procès-verbaux de l'Assemblée constituante. Avis aux chercheurs. |
ContreCulture / Voltaire version 1.5
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